Système monétaire

Double aurelianusasGold multiple 5 aureiDenariusMedallionAureusAurelianusDupondius

L’avilissement de l’antoninien

À son accession au pouvoir, Claude II hérite d’un système monétaire parvenu au plus bas. Depuis plus de trente ans, le budget impérial se trouve confronté à un accroissement accéléré de son passif, dû aux dépenses que nécessite un état de guerre devenu permanent. Dans le même temps, ses rentrées fiscales sont amoindries par la réduction de son territoire, amputé des provinces envahies par les barbares ou tenues par les usurpateurs.

La monnaie pivot du système reste la monnaie d’argent, l’antoninien, créé par Caracalla en 215, temporairement abandonné puis réintroduit définitivement en 238. L’antoninien porte à l’avers l’effigie radiée de l’empereur, et pour les impératrices, un buste posé sur un croissant lunaire. À sa création en 215 par l’empereur Caracalla, dont il porte le nom, l’antoninien pèse 1,5 denier pour le même taux de métal fin, mais il a cours pour 2 deniers. Parallèlement, la taille de l’aureus est réduite au 1/50 de livre. De 238 à 268, l’antoninien subit une vertigineuse dépréciation, en poids et en taux de métal fin, et au début du règne de Claude II, cette monnaie censée être d’argent ne contient plus guère que du cuivre.

Une dégradation rapide se produit dans la conjoncture difficile des années 253-260, marquées par les invasions et l’éclatement politique de l’empire. Du côté de l’empire gaulois, Postume réussit à préserver la valeur métallique de ses émissions monétaires jusqu’en 268, mais la monnaie de ses successeurs Victorin et Tétricus suit l’avilissement de la monnaie de l’Empire central. En trente ans, le poids du métal argent dans l’antoninien est passé d’environ 2,20g à moins de 0,1g. La détérioration rapide de la monnaie d’argent s’accompagne d’une augmentation spectaculaire du volume émis, essentiellement due à l’activité de l’atelier de Rome : les frappes surabondantes de Gallien à partir de 266, puis celles de Claude II et finalement, les frappes posthumes Divo Claudio marquent le nadir de l’antoninien et révèlent l’ampleur des fraudes auxquelles se livre le personnel monétaire en dehors de tout contrôle. Le bellum monetariorum et la répression sanglante de la révolte des ouvriers monétaires par Aurélien sont la conclusion prévisible d’un long processus de dégradation qui précède son règne.

Le volume des frappes est en inflation vertigineuse et en croissance rapide le nombre d’ateliers chargés de la mise en circulation du numéraire : en 238, sous Gordien, ne fonctionnent que Rome et Antioche, soit 9 officines ; en 270 au début du règne d’Aurélien, coexistent 7 ateliers représentant 33 officines.


La dislocation du système monétaire

Bien avant que l’antoninien n’atteigne le dernier stade de son avilissement, sa dépréciation a eu pour conséquence la dislocation de tout le système monétaire car les monnaies divisionnaires de l’antoninien sont laminées. À partir de 240, le denier cesse d’être frappé régulièrement ; la frappe du bronze devient ruineuse face à une monnaie d’argent devenue dans les faits une simple pièce de cuivre. À l’ouest, le bronze cesse d’être émis régulièrement en 262, avec les dernières émissions de Postume ; dans la péninsule italienne, les sesterces passent à la refonte pour fournir le métal nécessaire à la frappe de l’antoninien : en 269-270, ils ont disparu de la circulation. En Orient, la frappes des bronzes provinciaux décline rapidement après 260 ; sous le règne de Tacite en 276, ferme le dernier atelier provincial à frapper le bronze.

Pureté de l'argent et poids de l'antoninianus (238-282 AD)


Pour la monnaie d’or, l’État romain essaie de préserver un change garanti avec la monnaie d’argent, en diminuant le volume émis et en réajustant son cours. Mais comme la frappe de l’or incombe essentiellement à l’atelier de Rome, on voit aussi sous le règne de Gallien la taille de la monnaie d’or devenir erratique et sa teneur en métal fin subir d’importantes altérations.



Pureté de l'or (d'après Burnett, 1987, p. 125, selon les données de Morrisson et al., 1985, p. 82-86)



La réforme d’Aurélien

Des indices convergents montrent que l’administration impériale avait, sous le règne de Claude II, tenté de mettre fin aux exactions des monétaires de Rome en tentant d’arrêter la machine. Mais la première réaction efficace vient avec Aurélien dès le début de son règne : une fois la situation militaire stabilisée, il se rend à Rome, ferme l’atelier par la force pour mettre un terme aux fraudes du personnel monétaire, punit les désordres et exile les ouvriers qualifiés, les graveurs en particulier, dans d’autres ateliers impériaux : ainsi dès le début de 271 la principale source de billon dévalué se trouve sous contrôle. L’étape suivante de son œuvre réformatrice a lieu une fois rétablie l’unité impériale : la reconquête de l’empire gaulois en 274 permet, par la fermeture des ateliers de Cologne et de Trèves, de tarir la seconde source émettrice de billon dévalué et de mettre en place la réforme monétaire à proprement parler. Les ateliers occidentaux de Milan et de Rome (réouvert en 273 dans cette perspective) servent de banc d’essai à la réforme, et au printemps 274 l’antoninien réformé, l’aurelianus, est introduit dans l’ensemble des ateliers : il porte à l’exergue la marque distinctive de la réforme XXI/KA.

La réforme d’Aurélien vise à rétablir un système trimétallique or/argent/bronze fidèlement inspiré de celui de Caracalla. Elle conserve comme élément central une monnaie radiée de métal argenté, l’aurelianus, dont le poids est rehaussé au 1/80 de livre, soit un poids théorique de 4,03g. Sa teneur en argent est garantie à un taux de 5 % et son apparence est améliorée par la technique du sauçage. La marque XXI (XX à Ticinum, parfois ponctuée XX•I à Siscia) et son équivalent grec KA se lisent « 20 pour 1 », « 20 qui font 1 » : elles signalent et garantissent le contenu d’argent fin de la monnaie, 5 % ; 20 aureliani à 5 % d’argent valent 1 « argenteus » d’argent pur. La marque indique qu’il était dans l’intention du réformateur de réintroduire dans le système monétaire la pièce d’argent pur équivalant à ces 20 aureliani et taillée comme eux au 1/80 de la livre, et cela sans doute dès que le mauvais billon de la crise serait épongé, qui l’aurait condamnée sinon à la thésaurisation et à la refonte.

Le temps manqua à Aurélien pour ce troisième volet de la réforme, mais l’argenteus de Carausius, taillé au 1/84 de livre (pied augustéen) et celui de la réforme de Dioclétien, au 1/96 de livre (pied néronien) prouvent bien que l’idée d’un retour à une espèce d’argent pur restait encore, à la fin du IIIe siècle, fortement ancrée dans les mentalités. Un denier lauré, parfois défini comme VSV(alis), est de nouveau frappé, au 1/124 de livre (2,60g) : il retrouve avec l’aurelianus, tarifé deux deniers comme sous Caracalla, le rapport pondéral qu’il avait au moment de la réforme de 215 (1 aurelianus = 1,5 denier). L'aureus est stabilisé sur le même pied que celui de Caracalla, le 1/50 de livre, 6,45g, avec parfois la marque explicite I L (1/50). Des unités de bronze sont recréées, sesterces, dupondii et asses.
Ce sont désormais 8 ateliers et 39 officines (voir carte interactive des ateliers) qui frapperont le numéraire. Les marques d’ateliers et les différents d’émission, plus fréquents, permettent des contrôles plus stricts. Parallèlement, la typologie des revers est uniformisée à l’échelle de l’empire au bénéfice de la propagande solaire (Oriens Aug, Sol Invictus).

La tarification des espèces retour1

Zosime évoque l’introduction de la « nouvelle monnaie d’argent » par Aurélien par une phrase dont tous les mots comptent : C’est alors qu’il fit distribuer au public une nouvelle monnaie d’argent après avoir prévu la restitution par le public des monnaies de mauvais aloi ; il évita par ce moyen la confusion dans les échanges (Zos. I, 61, 3). Ainsi, la diffusion de l’aurelianus est liée au rappel des monnaies avilies, forcément les antoniniens d’inflation de Gallien, de Claude et de Quintille (et à l’ouest, leurs équivalents au nom de Victorin et des Tétricus) puisque ce sont à cette époque - les trésors le prouvent - les seules monnaies à circuler. Le rappel du numéraire avili s’avère d’autant plus nécessaire que son maintien en circulation serait source de « confusion dans les échanges » : c’est donc que la valeur faciale de l’antoninien et celle de l’aurelianus, radié comme lui, étaient différentes. Si l’on admet que la tarification à deux deniers fut maintenue pour l’aurelianus, il faut supposer que c’est le billon de Gallien et de ses successeurs qui fut dévalué de moitié, pour ne valoir plus qu’un denier. D’ailleurs, le denier usualis qui fut alors introduit avait les caractéristiques physiques, en poids et en aloi, de l’antoninien dévalué : son apparition devait permettre de désamorcer la méfiance du public.

Cette dévaluation de fait de l’antoninien avait été précédée de la réforme du tétradrachme alexandrin à l’automne 273. Les tétradrachmes de l’an 5 d’Aurélien (29 août 273-29 août 274) portent d’abord la date traditionnelle L Є, avant d’être remplacés par des monnaies marquées ЄTOUC Є, d’un poids réduit de 15%. La réduction pondérale du tétradrachme (1 tétradrachme = 1 denier) anticipe la modification de la monnaie impériale et la baisse de la valeur faciale de l’antoninien.

Nous ne connaissons pas le tarif liant les diverses espèces entre elles, ainsi qu’au prix des métaux précieux : pour saisir la logique et la cohérence de la réforme d’Aurélien, il faut la mettre en perspective avec celle qu’introduira Dioclétien quelque vingt ans plus tard. En 294, une pièce d’argent est recréée à l’imitation du denier néronien, l’argenteus. Une nouvelle pièce de billon argenté, cette fois laurée, est introduite : le nummus, taillé au 1/32 de livre (ca. 10g et 4 % d’argent) sert de multiple à l’aurelianus. L’aurelianus continue à circuler, relayé, dans la partie orientale de l’empire, par un néo-antoninien radié ; une fraction laurée, qui n’est autre qu’un néo-denier, est aussi émise. Depuis 284, l’aureus est frappé sur le pied du 1/70 de livre (marque O = 70) et depuis 286, sur celui du 1/60 (marque χ = 60). La standardisation technique, avec la généralisation des marques d’ateliers, et typologique, au profit du type unique Genius Populi Romani s’accompagne d’une nouvelle augmentation des ateliers en service et l’intégration de celui d’Égypte dans le système impérial.

Argentei et nummi furent immédiatement thésaurisés : afin d’inciter le public à remettre sur le marché les monnaies accaparées et amortir à son avantage les progrès de l’inflation, l’administration tétrarchique opéra une seconde réforme du monnayage en septembre 301 : l’Édit d’Aphrodisias de Carie révèle que le monnayage vit alors sa valeur faciale purement et simplement doublée (geminata potentia) sans modification de l’aspect physique des monnaies. L’argenteus passa ainsi de 50 à 100 deniers et le nummus de 12,5 deniers à 25 deniers. Peu après, afin de juguler l’augmentation des prix, les tétrarques promulguèrent l’Édit du Maximum, qui fixe les prix plafonds des denrées et des services : le nummus s’y trouve apparemment réduit à 20 deniers, le prix de la livre d’argent ramené à 6 000 deniers et celui de la livre d’or à 72 000 deniers.


Réalité et limites de la réforme retour

Dans les faits, le système trimétallique prévu par la réforme d’Aurélien ne sera en vigueur qu’à l’atelier de Rome : le bronze n’apparaîtra que dans les 9e et 11e émissions de Rome ; quant au denier, sa production est cantonnée aux émissions 10-12.

Le décri du billon d’inflation s’annonçait, au tarif de 1 aurelianus pour 2 antoniniens, une fructueuse opération pour l’État romain. Le rappel fut effectif, mais avec d’énormes disparités régionales. Les trésors s’achevant sous Probus-Carus, en particulier dans la zone italo-balkanique, se caractérisent par l’absence de monnayage pré-réforme. Le mauvais billon argenté de Gallien et de Claude désormais épongé, la thésaurisation y commence avec Aurélien.

Par contre, dans les régions occidentales correspondant à l’ex-empire gaulois, les trésors comptent essentiellement les monnaies avilies de Gallien, Claude et Tétricus, ainsi que leurs innombrables imitations régionales ; les aureliani y sont rares, ceux produits par l’atelier de Lyon nouvellement ouvert ne porteront pas, fait significatif, la marque de la réforme. Soit volonté délibérée, soit impuissance à imposer le monnayage réformé, l’État romain renonce à y faire circuler l’aurelianus.

Le décri officiel du monnayage émis par l’empire gaulois, opéré à la charnière des règnes de Probus et de Carus, en 283, soit plus de huit ans après la victoire d’Aurélien sur Tétricus, aurait pu donner l’occasion d’un assainissement salutaire de la situation dans les provinces occidentales. Il n’en fut rien : les trésors monétaires montrent qu’il fut remplacé dans les circuits par la mauvaise monnaie radiée de Gallien et de Claude II, retirée ailleurs dans l’empire et qui connut ainsi une circulation secondaire à vaste échelle. En outre, la production d’imitations Divo Claudio, issues d’officines clandestines italiennes, vint encore augmenter la masse du mauvais billon dans les circuits d’échange : les trésors de la fin du IIIe siècle enregistrent une spectaculaire progression de ce pauvre monnayage.

L’aurelianus, dans ces conditions, pouvait difficilement s’imposer. La tarification officielle dut se révéler vite intenable puisque l’administration monétaire, dès le règne de Tacite, hésita à apposer le signe XXI/KA à l’exergue des monnaies. Dans les faits, l’aurelianus fut certainement échangé par le public au-dessus de sa valeur nominale, pour atteindre rapidement 4 deniers, sa valeur en 294 lorsqu’il fut remplacé par le néo-antoninien radié. D’où les tentatives répétées de réévaluation de l’aurelianus de la part de l’autorité monétaire, que l’on peut appréhender à travers la création d’un double aurelianus, à poids similaire mais à teneur d’argent doublée, sous le règne de Tacite (monnaies d’Antioche et de Tripolis marquées XI/IA) et de Carus (monnaies de Lyon à la double couronne radiée, au revers Abundantia Aug, marquées X•ET•I à l’exergue ; monnaies de Siscia au revers Felicitas Rei Publicae, majoritairement à double buste Sol et Carus ou Carus et Carin, marquées •X•I• ou XI, et parfois •XI•I).
L’introduction de l’aurelianus amena, outre une amélioration visible du numéraire impérial, une consolidation du poids que confirment les données du trésor de La Venèra.


Résumé de S. Estiot, Bibliothèque nationale. Catalogue des monnaies de l’Empire romain (BNCMER) XII.1. D’Aurélien à Florien
(Paris-Strasbourg, 2004), p. 39-48.