273 : (M. Claudius) Tacitus, Iulius Placidianus coss.
La nouvelle de la rébellion de Palmyre atteint Aurélien alors qu’il est en Europe, aux bouches du Danube. Un certain Apsaios, un notable de Palmyre déjà largement impliqué lors des événements précédents, avait tenté de circonvenir le préfet Marcellinus afin de le pousser à l’usurpation. Marcellinus informe secrètement l’empereur, mais c’est bientôt un autre personnage, Antiochus qui assume la pourpre (Zos. I, 60). L'armée impériale revient à marches forcées à travers l'Asie Mineure, traverse Antioche stupéfiée et atteint Palmyre. La ville est prise sans difficulté et, cette fois, mise à sac. L’inscription palmyrénienne en l’honneur d’Haddûdan, citée plus haut, montre que la révolte de Palmyre est jugulée en mars 273.
L'Égypte, ou du moins Alexandrie où subsistait un fort parti pro-palmyrénien, s'était révoltée tout comme Palmyre. S’il est avéré que le personnage de l’usurpateur Firmus est une fiction forgée par l’Histoire Auguste, il est certain que des troubles graves ont agité Alexandrie, une information que confirme le monnayage alexandrin. L’atelier monétaire a dû interrompre son activité pendant plusieurs mois : les monnaies de l'an 4 d'Aurélien (août 272-août 273) sont peu nombreuses, comparées à ce qui relève d’une production monétaire normale pendant une année pleine. Sur le site de Karanis, les chiffres cumulés des trésors monétaires permettent de répertorier 26 tétradrachmes pour l'an 4 d’Aurélien, contre 73 pour son an 5.
De Palmyre, l'armée impériale se dirige vers l'Égypte. Un nouvel atelier monétaire est ouvert pour l’occasion à Tripolis, en Phénicie : un très important donativum d'or y est préparé à l’intention de l’armée grâce au butin pris sur Palmyre.
Le retour vers l’ouest différé, il faut malgré tout récompenser les troupes de leurs victoires orientales et donc frapper les gratifications localement. Le donativum sera distribué sur place à l'armée, sur sa route vers l'Égypte.
Les troubles d'Alexandrie sont réprimés ; le quartier du Bruchion, le quartier royal et aristocratique d’Alexandrie où se trouvent le Musée et la Bibliothèque, est assiégé. Selon le témoignage d’Ammien Marcellin, la ville sera alors privée de ses murailles et le Bruchion isolé.
Au début de l’an 5 de son règne (automne 273), Aurélien opère une réforme du tétradrachme alexandrin qu'il allège. Le tétradrachme portait au revers la datation LЄ (an 5), qui passe à ЄTOVC Є sur le tétradrachme allégé. L’Égypte est soumise à des sanctions économiques.
Second adventus à Rome et réforme monétaire (fin 273 – printemps 274)
L'empereur et son armée opèrent leur retour vers l'Occident à la fin de l'année 273. L'atelier monétaire de Rome a été réouvert dès l'été 273, dans la perpective du retour de l'empereur à l'ouest, qu’annonce déjà par anticipation la frappe d’un revers Adventus Aug.
La remise en route de la Monnaie de Rome, fermée dans des circonstances dramatiques deux ans auparavant, n’est techniquement possible que grâce à l'arrivée à Rome d'une partie du personnel de l' « Atelier balkanique indéterminé ». Rome d’abord fonctionne à petit rendement et sans doute sous haute surveillance. L’atelier balkanique pour sa part mettra fin à son activité quelques mois plus tard, pendant l'automne 273 : son existence aura été strictement circonstancielle et liée aux campagnes orientales.
274 : Imp. Caes. L. Domitius. Aurelianus Aug. II, Capitolinus coss.
L'empereur est de retour à Rome au printemps 274. En avril-mai 274, il y préside à la réforme monétaire, ou du moins à la mise en place de son premier volet, le remplacement des antoniniens dévalués par une nouvelle pièce radiée argentée, l'aurelianus. Les sources historiques antiques sont, par nature, indifférentes à l’analyse des faits économiques et monétaires ; la phrase que consacre Zosime à la mise en place de la réforme monétaire d’Aurélien et au retrait de l’antoninien dévalué n’en est que plus notable (Zos. I, 61, 3) : C’est alors aussi qu’il fit distribuer au public une nouvelle pièce d’argent en prévoyant le retrait officiel du monnayage adultéré ; par ce moyen, il écarta toute confusion dans les échanges.
En fait l'introduction des marques XXI ou KA, qui signalent les aureliani réformés et garantissent leur teneur en argent - XX/I ou K/A, soit 20 (aureliani) pour 1 (‘argenteus’), soit une teneur de 5 % de métal fin - ne fait qu'officialiser une amélioration de la qualité du numéraire déjà acquise dans les ateliers italiens : en effet les antoniniens émis à Rome ainsi qu'à Milan ont déjà atteint depuis plusieurs mois la qualité visée pour les monnaies réformées. En Italie du nord, la réforme sera marquée par le transfert de l'atelier monétaire de Milan à Ticinum. Le signe XXI / KA de la réforme est apposé dans tous les autres ateliers impériaux alors en fonctionnement : Siscia, Serdica, Cyzique, Antioche et Tripolis, et cela même si les standards de la réforme n'y sont pas atteints.
L’aureus, dont la taille à la livre et la pureté avaient été chaotiques à Rome sous le règne de Gallien, voit en même temps son poids fixé, et officialisé par la marque I L (1/50 de livre, soit 6,45g).
La réforme, d’inspiration très orthodoxe et qui s’efforce de retrouver un système monétaire trimétallique – en fait celui d’Auguste tel qu’il fut révisé par Caracalla –, concerne aussi les autres dénominations : les deniers pour l’argent, et pour le bronze, les as, sesterces et dupondii.
Ces mesures complémentaires trouveront une application plus tardive, en 275, et très limitée puisque cantonnée à l'atelier de Rome. Enfin, le temps manqua à Aurélien pour réintroduire la monnaie qui aurait été le pivot du système, une monnaie d’argent de bon aloi, cet argenteus valant 20 aureliani que sous-entend l’utilisation de la marque XXI / KA.
La campagne contre l’empire gaulois (été-automne 274)
Aurélien se met en campagne contre l'empire gaulois au début de l'été 274. Tétricus est parvenu à la tête de l'empire rebelle au début de 271 dans des conditions difficiles : membre de l'ordre sénatorial romain, gouverneur de l'Aquitaine, résidant d’ailleurs à Bordeaux lors de sa proclamation, rien ne le désignait a priori pour succéder à la série des grands généraux qui, de Postume à Victorin, se considérèrent comme commis sur le front du Rhin à la lutte contre les barbares. Le monnayage au nom de l’usurpateur Domitianus montre qu’il a été un compétiteur de Tétricus, assez dangereux pour pouvoir s'emparer d’au moins un des deux ateliers monétaires de l’empire gaulois, celui de Trèves, et y faire battre monnaie à son nom. Tétricus à son accession se voit contraint d'appuyer une légimité contestée sur la mémoire de son prédécesseur : ses monnaies dédiées au Divo Victorino Pio sont l'exact équivalent des frappes dédiées au Divo Claudio par Quintille et Aurélien quelques mois auparavant, au moment où chacun se prétendait le légitime successeur de Claude II.
Depuis 273, Tétricus II est associé au pouvoir en tant que César. Au début de 274, Tétricus I fête son troisième consulat, le premier consulat de son fils et les Vœux décennaux (Vota Decennalia) de son règne.
Nous ignorons à peu près tout des événements ou des campagnes du règne des deux Tétricus, mais au début de 274 l'empire gaulois paraît de nouveau, comme au début de 271, miné par une crise d'autorité, elle-même reflétée par les désordres monétaires. Parmi les séditions militaires répétées qu'évoquent les historiographes, celle de Faustinus, le gouverneur de Gaule Belgique, semble bien attestée. Par ailleurs, la carte des inscriptions au nom des empereurs légitimes et des empereurs rebelles montre que le territoire contrôlé par l’empire gaulois s’est rétracté depuis le règne de Postume : si la Bretagne insulaire, après avoir fait défection un temps au profit de Claude II, était finalement restée une possession de l’empire gaulois, ce n’est pas le cas de la péninsule ibérique revenue à l’empire central sous Claude II, comme le prouvent les assez nombreuses inscriptions au nom de cet empereur trouvées en Tarraconaise et en Lusitanie, ainsi que les canalisations de Leòn estampillées au nom de la Legio VII Gemina Claudiana, puis Quintillana.
De même, la partie orientale de la Narbonnaise correspondant à la rive gauche du Rhône est contrôlée militairement par l’empire central depuis le règne de Claude II au moins : Julius Placidianus y assure la protection avancée des positions romaines à la tête d’un corps expéditionnaire. La carrière du personnage montre clairement l’importance du rôle qui lui est imparti et la confiance que les empereurs lui accordent : il reçoit dans ce poste sa promotion au rang de préfet du prétoire en 272, avec le rang de clarissime, et c’est en tant que titulaire de cette charge qu’il revêt le consulat éponyme en 273 avec, comme collègue, le futur empereur Tacite.
Le cas des Champs Décumates et de la partie occidentale de la Rhétie est moins clair : il apparaît pourtant qu’après la victoire remportée sur les Juthunges en avril 260 par l’armée commandée par M. Simplicinius Genialis, et finalement ralliée à Postume, la Rhétie a été de nouveau contrôlée par l’empire légitime, probablement à la suite de la seconde campagne que Gallien mena contre Postume en 266 sur le territoire gaulois même. La frontière rhénane en face de la Germanie supérieure, en amont de Mayence, est en tout cas repassée du côté de Rome sous Claude II : des tuiles estampillées du nom de la Legio VIII Augusta Claudiana montre que Strasbourg, sa ville de garnison, était - provisoirement ? - revenue sous l’autorité centrale. La garde de la Rhétie elle-même, ainsi que celle de l’Italie du nord, est confiée à des duces placés à la tête d’une armée d’intervention rapide basée à Milan : Auréolus, en 267-268, Quintille, à sa suite jusqu’en 270, et Tacite en 275.
L'affaiblissement du pouvoir gaulois est tel que l'armée d'Aurélien peut progresser jusqu'à Châlons-en-Champagne avant de rencontrer les légions de Tétricus. Un seul simulacre de bataille eut lieu et Tétricus se rend entre les mains d’Aurélien, citant un vers virgilien : Eripe me his, invicte, malis (Én. 6, 365) qui ne pouvait que sonner agréablement aux oreilles du dévot de Sol Invictus.
Aurélien prend possession de l'atelier monétaire de l'empire rebelle encore en fonction à la fin du règne de Tétricus, Trèves, et y fait battre une courte série avant de le fermer. À côté d’un type exaltant la Virtus militaire d’Aurélien, figure le revers Pacator Orbis, où l’empereur en tenue militaire figure en train de sacrifier sur un autel : la Restitutio Orbis s’était achevée avec la victoire sur Palmyre pendant l’été 272 ; la reconquête gauloise s’apparente à une simple campagne de pacification. La frappe monétaire est ensuite transférée en une zone moins menacée : l'atelier de Lyon, inactif depuis 197 de n. è., est ouvert à l’automne de l’année 274 grâce au personnel monétaire trévire.
Le retour à Rome et le triomphe (fin 274-début 275)
Aurélien avait rendu son unité à un empire déchiré depuis quatorze ans par des forces centrifuges. De retour à Rome, l'empereur fête avec pompe son triomphe sur l'Orient et l'Occident. Outre le triomphe, les Quinquennales du règne sont aussi célébrées ainsi que la dédicace du Temple du Soleil, la création d'un collège de pontifes attachés à son culte et l'institution d'un Agôn Solis. Les festivités se déroulent d'octobre-novembre 274 au début de 275. Un donativum d'or considérable est préparé par l'atelier de Ticinum pour être distribué à cette occasion dans la capitale.
La personne de l’Augusta Séverine est largement associée aux honneurs rendus à l’empereur. Le rôle politique croissant que joue l’impératrice se discerne dans la place exceptionnelle qui est faite à Séverine dans la frappe monétaire depuis la fin de 274. L’Histoire Auguste en répercute un écho assourdi et indirect. L’Augusta Ulpia Severina - son gentilice nous est fourni par les tétradrachmes d’Alexandrie et les inscriptions lapidaires – appartenait donc à l’une des familles romaines les plus prestigieuses. C’est en fait à elle que le personnage fictif d’Ulpius Crinitus doit pour une part son existence : de ce descendant imaginaire de Trajan, l’Histoire Auguste fait le père adoptif d’Aurélien et son collègue au consulat.